[FRENCH] Une histoire de secret (Nouvelle)
- siboulotte mathieu

- 15 sept.
- 6 min de lecture
J'ai commencé à faire un challenge, écrire au moins une petite nouvelle de 3 pages par mois. C'est quelque chose d'assez nouveau pour moi, mais l'exercice me plait beaucoup et j’espère qu'il m'aidera a devenir un meilleur concepteur de quêtes et d'histoire en général ! Voici donc ma première nouvelle, parce que mes proches m'ont fait de bons retours dessus ;D
Thème : ballade au phare.
Contrainte : avoir une romance.
Temps passé : 8 - 9 heures.
J'ai essayé de mettre un petit aspect SF dans cette histoire, j'espère que ça vous plaira.
Une histoire de secret
– Tu as déjà songé à prendre le large ?
Son air sérieux me prend au dépourvu. On se côtoyait depuis trois ans déjà et on avait toujours fait en sorte d’éviter ce sujet. La politique des gardiens était formelle : pour entrer dans leur cercle très fermé, il fallait renoncer à l'idée même du contact de l’eau salée contre sa peau. Et ce n’était pas négociable puisque c'était une question de survie.
– Tu sais que j’adore la mer. Les vagues, l’air iodé... Et surtout les mystères que les abysses nous cachent encore ! Mais…
– Ça fait beaucoup de mots pour dire que ça ne t'intéresse pas, non ?
Elle éclate de rire. Une brise légère fait danser ses cheveux bruns. Je sens mon cœur tanguer une nouvelle fois. Elle caresse ma main, puis reprend :
– Moi j’y pense constamment. Et demain sera enfin le grand jour ! Tu veilleras à ce que mon bateau revienne en un seul morceau, hein ?
Ses yeux verts se perdent dans l’horizon grisonnant. Manon avait vu sa famille entière disparaître lors de la Grande Vague. Pour elle, braver les flots pourrait enfin lever le poids infini que l'océan avait jeté sur ses épaules. Je hoche la tête, tout en sachant que je ne la reverrai jamais. J’attendais ce moment depuis des mois.
– Tu as déjà visité le phare ? Je pourrai peut-être te montrer comment je fais pour aider les jolies filles à ne pas rater le port.
Elle accepte avec joie, non sans me gratifier d'un petit coup rageur sur l'épaule. Je la prends par la main, et nous nous mettons en route vers ma seconde demeure, le Phare du Nouveau Cap.
Le Phare est le plus haut de tous les bâtiments de la région. Plus grand encore que la Citadelle du Renouveau ! Une imposante tour blanche immaculée, rare témoignage de ce à quoi la vie ressemblait avant la Grande Vague. J’ai eu beau fouiller tous les documents le concernant, je n’ai jamais rien trouvé concernant ses origines. Pas de permis de construire, pas de plans, pas d’historique concernant ses précédents gardiens. Comme si la puissante lumière qu’il produisait consumait tout ce qui le concernait.
Manon et moi tentons de rejoindre le Phare , non sans trébucher sur la plage de galets qui le bordent. Ces petits moments avec elle arrivent à me faire oublier ces longues nuits de solitude à manœuvrer la complexe machinerie du Projecteur. Mais cela n’aurait bientôt plus d’importance.
– Alors, tu m’expliques ? Pourquoi les gardiens ne peuvent pas nager ? C’est quand même un comble quand on passe ses nuits à sauver les autres de la Haute Mer.
– Ce n’est pas quelque chose qui s’explique avec des mots. Il va falloir que je te le montre directement pour que tu me croies. Si tu arrives à vaincre les 500 marches pour arriver jusqu’au sommet !
Bien sûr, ce n’était qu’à moitié vrai. Le Cercle m'avait interdit de révéler ces informations avec des non-initiés. Si la population apprenait notre destin, plus personne ne voudrait travailler ici, et la sécurité globale en serait affectée. Tout le système reposait sur le silence des travailleurs et sur le prestige du poste : l’Examen pour rejoindre les gardiens était long, mais réussir était l'assurance que sa famille ne manquerait jamais de rien - un luxe total par les temps qui courent. Seule une poignée de chanceux arrivait au terme des épreuves encore en vie, et ces derniers devaient ensuite prêter le serment de ne jamais révéler au monde ce qu’ils subissent au quotidien. Maintenant que Manon voulait quitter la terre ferme, cela me faisait terriblement plaisir de me livrer enfin à quelqu'un. De toute évidence, le Cercle ne la rattrapera jamais en mer et ceux qui auront eu vent de son existence l’auront oubliée d’ici son retour.
Arriver jusqu'à destination nous prend encore une bonne dizaine de minutes. En montant les marches, je lui explique chaque mécanisme que nous rencontrons. Si au niveau des cents premières marches ce sont principalement les systèmes de survie que nous apercevons, l’escalier finit par nous dévoiler peu à peu les entrailles du stockage énergétique alimentant le Luminoscope. Des centaines de cellules d'énergie bio phosphorescentes sont alignées chirurgicalement le long de racks apposés à un pilier traversant le Phare de part en part. Il y en restait assez pour éclairer pendant quelques heures sans interruption, mais il fallait impérativement que je les recharge avant la nuit. Le processus était douloureux, mais inévitable.
– Attends, il y a un truc que j'ai du mal à saisir là. On m'a toujours dit que l'énergie était limitée en ville afin que le Phare puisse continuer à fonctionner. Comment ça se fait que le projo fonctionne avec ce genre de batterie ?
– Le Luminoscope n'a jamais été branché sur le réseau de la région, si c'est ce que tu veux savoir. D’ailleurs ça tombe bien, les cellules commencent à être à plat. Je vais te montrer comment les alimenter.
Je m'agrippe donc à la rambarde et m' applique à retirer une quantité importante de ces petits globes transparents de leurs réceptacles. Le bruit de succion retentissant à chaque nouvelle bille quittant le mécanisme semble dérouter Manon, mais je ne me laisse pas distraire. Je la guide ensuite dans la vigie. Le crépuscule commence à pointer et porte une lumière étrange sur le projecteur du Luminoscope trônant au milieu de la pièce. Sans même jeter un coup d'œil au bazar environnant, Manon se jette sur l' appareil pour l’analyser sous tous les angles. Elle a toujours eu un faible pour les machines atypiques. Mesurant plus de deux mètres de haut et composé de centaines de minuscules miroirs ainsi que d' autant d' ampoules de la même taille, le Luminoscope accueille en son sein un siège en cuir taché par la sueur et le sang de ses précédents occupants. Des réceptacles pour les cellules d'énergie sertissent ses accoudoirs. Manon me regarde d’un air circonspect.
– On se croirait chez le dentiste mais avec la propreté en moins. Horrible !
– Les gardiens ne sont pas connus pour avoir un budget “assistant” pour faire le ménage, ha ha. Mais oui, globalement, ce siège m’a toujours fait passer de sales quarts d’heures.
Je m’installe sur celui-ci et insère les billes dans leurs réceptacles. De longues aiguilles sortent alors des accoudoirs et me transpercent les veines dans les deux bras. Manon lâche un cri de surprise.
– Ces petits globes sont vivants et se nourrissent du sang des gardiens. Ils sont hautement sensibles et se désagrègent si j'ai été en contact avec de l’eau de mer. Sans moi, ils ne peuvent pas vivre, et sans eux, pas de lumière. Tu vois le genre ?
– J'aurai préféré ne pas le voir. Sérieux, tu pouvais pas juste me le dire ?
– Non, il faut que tu te souviennes de tout ce que tu vas voir ce soir. Ça pourrait t’aider à comprendre pourquoi je ne serai pas forcément là pour t’accueillir à ton retour. Bon. J’ai encore deux trois trucs à te montrer.
Manon accuse le coup, mais il faut que je continue. Je la rassure d’un sourire puis, une fois les cellules nourries, je me lève avec un grognement et commence à les transférer dans le Luminoscope.
– Le soucis avec ces trucs, c’est qu'à chaque fois que je les recharge, je mets de plus en plus de temps à récupérer. Au début, c'était une heure, maintenant ça peut prendre jusqu’à une semaine. T’as déjà vu un gardien de phare à la retraite, toi ?
Pendant que je trafique la machine, je sens Manon se rapprocher. Je suis heureux qu’elle soit là. Heureux d’enfin partager mon fardeau avec quelqu’un. Je sais que je n’en ai plus pour très longtemps, de toute manière. Elle pose une main chaleureuse sur mon épaule. Une instant plus tard, ma vue se brouille. Un goût de fer envahit ma bouche et je vacille contre la machine, la tâchant grossièrement de sang. Manon me repousse sur le sol, un couteau écarlate la main. Dans un dernier sursaut de conscience, je l’entends me murmurer à l’oreille :
– Moi aussi je vais te dire un secret. Les gardiens ne finissent jamais à la retraite parce qu’ils sont incapables de tenir leur langue.


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